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mardi 1 juillet 2014

Les soeurs Greentree tome 3 L'Ingénue solitaire de Sara Bennett




 Aphrodite, patronne de la plus luxueuse maison close de Londres, fait appel à Sebastian Thorne, détective privé, pour enquêter sur les Slater, qui, vingt-trois ans plus tôt, ont enlevé ses trois filles...














Le résumé :
Londres, 1849.
Aphrodite, patronne de la plus luxueuse maison close de Londres, fait appel à Sebastian Thorne, détective privé, pour enquêter sur les Slater, qui, vingt-trois ans plus tôt, ont enlevé ses trois filles. C'est dans le Yorkshire, là où les fillettes furent finalement retrouvées, que vit encore Francesca, la plus jeune, loin des plaisirs de Londres et de sa scandaleuse mère. Sebastian devra découvrir ce que sont devenus les Slater, et surtout comprendre qui avait commandité le rapt. Car, Aphrodite en est persuadée, quelqu'un a manigancé tout cela et peut de nouveau frapper. Mais pour protéger l'ingénue Francesca, Sebastian devra d'abord lutter contre la passion qu'elle éveille en lui...



L'extrait :
Prologue

Londres, club d'Aphrodite, 1849
Il vous faudra remonter de nombreuses années en arrière.
Assise dans son fauteuil de style égyptien, Aphrodite se pencha en avant dans un bruissement de soie noire. Ses longs doigts chargés de bagues agrippèrent les accoudoirs sculptés en forme de têtes de sphinx. Son beau visage était tendu, son regard sombre rivé sur Sébastian Thorne.
J'ai besoin de votre aide, dit-elle d'une voix rauque.
Bien sûr, murmura Sébastian.
Il avait vu bon nombre de clients à bout de nerfs au cours de ces huit dernières années. Mais cette femme était différente.
Je ferai tout ce que je pourrai, madame.
Aphrodite dut se rendre compte qu'elle avait laissé transparaître son anxiété, car elle se renversa dans son fauteuil en relâchant la pression de ses doigts sur les accoudoirs.
Donc, vous acceptez de m'aider?
Naturellement, si je le peux.
Vous êtes le meilleur... du moins, c'est ce qu'on prétend, ajouta-t-elle avec un petit sourire.
Sébastian inclina la tête avec modestie.
Vous me flattez.

Je vous en prie, mon ami! répliqua-t-elle. On dit aussi que vous êtes un adversaire dangereux et impitoyable, que certains vous craignent tant qu'ils regardent sans cesse par-dessus leur épaule de peur de vous découvrir dans l'ombre, derrière eux. Mais je ne fais pas partie de vos ennemis. Je veux des résultats, et je me moque de savoir comment vous les obtiendrez. Si vous devez vous montrer cruel, je m'en moque.
Sébastian haussa les sourcils.
Dans ce cas, exposez-moi votre requête, madame, et je vous dirai honnêtement si je peux ou non atteindre le but que vous me fixez.
Très bien, répondit-elle en lissant les plis de sa jupe noire. Commençons...
Des rires et des voix de femmes fusaient des pièces voisines. Le club d'Aphrodite offrait toutes sortes de divertissements à ses clients, mais Sébastian savait que ce n'était rien d'autre qu'une luxueuse maison close. Cela ne le dérangeait nullement. Depuis huit ans qu'il arpentait les quartiers sombres de Londres, il avait assisté à tant de scènes de cauchemar que plus rien ne pouvait le choquer. Par ailleurs, le club de la mystérieuse Mme Aphrodite avait une excellente réputation. Diverses rumeurs et histoires étranges -circulaient au sujet de sa propriétaire, mais nul ne connaissait la vérité sur sa vie.
Vous m'avez fait appeler pour solliciter mon aide, madame. Je suis à votre disposition.
Elle parut amusée, comme si elle avait su que ses bonnes manières n'étaient qu'un vernis sous lequel se dissimulait quelque chose de très dangereux. Mais son visage recouvra rapidement sa gravité, et son regard se fit mélancolique.
Il y a vingt-trois ans, mes trois filles ont été kidnappées par une certaine Mme Slater. Celle-ci s'est introduite de nuit dans ma maison de campagne, s'est emparée de mes pauvres enfants et les a emmenées dans sa voiture. J'étais ici, à Londres. Les domestiques étaient endormis et n'ont rien entendu. Je ne leur en veux pas - comment auraient-ils pu deviner ce qui allait se passer ? Personne n'avait le moindre soupçon. Il est probable que cette femme disposait d'un informateur. Quelqu'un qui savait quelle porte restait ouverte pendant la nuit, et où se situait la nursery.
L'espace d'une minute, elle sembla ruminer la perfidie d'une telle machination, puis, avec un soupir, elle reprit son histoire.
Sans que j'en sache rien, Mme Slater a emmené mes filles vers le nord, dans le Yorkshire. Elle avait loué un cottage sur le domaine de Greentree Manor. Elles ont vécu là un moment, sans qu'il leur soit fait de mal, bien qu'elles fussent la plupart du temps livrées à elles-mêmes.
Aphrodite battit des paupières, refoulant ses larmes.
Pouvez-vous imaginer cela, mon ami? Trois petites filles - dont Francesca, qui n'était encore qu'un bébé - obligées de se nourrir, de s'habiller, de s'élever seules. Vivianna avait à peine six ans...
Elle esquissa un sourire et reprit :
Je préfère ne pas penser à ce que seraient devenues les deux petites sans ma chère Vivianna, si sage et si raisonnable. Puis le mari de Mme Slater est venu s'installer au cottage. La plupart du temps, il avait un verre dans le nez et s'en prenait à mes filles. Elles avaient terriblement peur de lui. On n'avait encore jamais crié après elles de telle façon. Elles étaient de plus en plus souvent enfermées toutes les trois dans une pièce, où elles souffraient de la faim et du froid.
Et un jour, les Slater sont partis brusquement, abandonnant le cottage... et les enfants.
Ils les ont laissées complètement seules ? s'exclama Sébastian, stupéfait.
Finalement, il découvrait qu'il n'était pas aussi blasé qu'il l'avait cru.
Oui, toutes seules. Jusqu'à l'arrivée d'Amy Greentree, qui les a secourues.
Et vous voulez que je retrouve Mme Slater et son époux ?
Ce ne sera qu'une partie de votre mission. Alors qu'elle occupait le cottage, Mme Slater se rendait régulièrement à l'auberge du village. Elle se vantait souvent d'avoir été très maligne et disait attendre une importante récompense en échange de ce qu'elle cachait. Les enfants, bien entendu. Quelqu'un la payait pour ce qu'elle faisait. C'est pour cela que je désire que vous la retrouviez, monsieur Thorne. Mme Slater détient la clé du mystère.
Rien ne nous dit que Mme Slater soit encore vivante, déclara Sébastian avec prudence. Ces événements se sont déroulés il y a des années. L'alcool l'a sans doute tuée.
Fi ! Ces viles créatures ne meurent pas si facilement. Elles s'accrochent d'autant plus à leur misérable vie qu'elles craignent la redoutable punition qui les attend dans l'autre monde.
Sur ce point, Sébastian ne l'aurait pas contredite.
Partez dans le Yorkshire, ordonna Aphrodite. Rendez-vous à Greentree Manor et visitez le village. Après leur fuite, Mme Slater et son mari seront forcément réfugiés quelque part. Les gens ont dû remarquer quelque chose ; ils se rappelleront peut-être ce qui s'est dit à l'époque où les enfants ont été découvertes. Commencez par là, monsieur Thorne, et suivez la piste des Slater. Je vous dédommagerai. Combien voulez-vous pour commencer vos recherches ?
Il pencha la tête pour dissimuler un sourire. Aphrodite s'en rendit compte et haussa ses beaux sourcils noirs.
Je vous amuse, mon ami ? dit-elle d'un ton sec.
Non, madame, mais je ne suis pas habitué à une telle franchise. D'ordinaire, mes clients préfèrent faire semblant de croire que j'agis uniquement par bonté d'âme. Ils n'abordent pas la question de l'argent. Ils considèrent que c'est inconvenant et indigne d'eux. En outre, ajouta-t-il avec un haussement d'épaules désinvolte, ils me méprisent à cause du métier que j'exerce.
Aphrodite eut un petit geste d'agacement.
Fi donc ! Je n'ai pas le temps de m'embarrasser de tels détails. Je me moque de savoir qui vous êtes. Tout ce qui m'intéresse, c'est que vous accomplissiez ce travail pour moi. Et je vous paierai largement pour cela.
Je ferai mon possible...
Allons donc ! Vous êtes le meilleur. Vous avez mis la main sur lady Harmer, qui s'était enfuie après avoir tué son amant. Et n'avez-vous point retrouvé sir Marcus Grimsby, parti avec la femme de chambre et la fortune de sa famille ? Votre réputation n'est plus à faire, monsieur Thorne.
Aphrodite avait raison : il était le meilleur dans sa partie. Un limier, un vrai. Et lorsqu'il avait flairé sa proie, il suivait la piste jusqu'au bout.
Si jamais j'estime nécessaire de parler avec vos filles, madame...
Vivianna se trouve actuellement dans le Derbyshire, et Marietta vit en Cornouailles. Francesca est restée dans le Yorkshire, à Greentree Manor.
Aphrodite soupira, comme si Francesca était pour elle une source d'inquiétude.
Mettrez-vous vos filles dans la confidence, en ce qui concerne ma mission ?
Elle se pencha une fois de plus en avant, l'air extrêmement grave.
Vous ne devrez leur révéler sous aucun pré texte le but de votre enquête, monsieur. Je ne veux pas qu'elles soient au courant. Sinon, elles me harcèleront pour en savoir davantage. Cette affaire est trop dangereuse pour que je prenne le risque de les en informer. Vous-même, monsieur Thorne, devrez observer la plus extrême prudence. Les personnes que vous poursuivez chercheront à vous éliminer si elles se rendent compte qu'elles sont près d'être démasquées.
Cela ne me fait pas peur, madame. Mais je ne suis pas stupide. Je serai prudent.
Bien.
Puis-je vous demander ce que vous espérez obtenir ? Et pour quelle raison vous avez attendu si longtemps ?
Le regard sombre d'Aphrodite se fit fiévreux.
Un nom. J'ai besoin d'entendre prononcer un nom. Je croyais avoir surmonté mon angoisse, mais je ne puis plus vivre ainsi. J'ai peur qu'il frappe de nouveau. Cela me rend malade, ajouta-t-elle en pressant une main contre sa poitrine. Je veux être sûre que mes filles n'ont plus rien à craindre. J'aimerais pouvoir profiter de leur compagnie sans être rongée par la peur.
Je comprends, madame. Mais pourquoi ne pas vous adresser à la justice ? Ne voudriez-vous pas que cette personne réponde de ses actes devant un tribunal ? Préférez-vous vraiment vous venger à votre manière ?
Elle battit des paupières, mais il sut qu'elle comprenait parfaitement ce qu'il voulait dire.
Vous avez déjà fait cela, n'est-ce pas ? chuchota-t-elle. Vous avez puni des gens pour les crimes qu'ils avaient commis ?
Vous avez prétendu savoir quel genre d'homme j'étais, lui rappela-t-il tranquillement. Madame, il est clair que vous soupçonnez quelqu'un d'avoir dicté sa conduite à Mme Slater. Pouvez-vous me dire le nom de cette personne ?
Aphrodite secoua vigoureusement la tête.
Non, non! Pas encore. Je veux que vous le découvriez vous-même. Je veux vous entendre prononcer son nom. Je veux savoir que je ne suis pas laseule à penser que les choses se sont passées ainsi.
Elle était terrifiée, et de toute évidence, cette peur . la poursuivait depuis fort longtemps.
Très bien, madame, j'agirai selon votre souhait.Je sais être très discret. Quant à la justice, nous en discuterons quand le moment sera venu.
Aphrodite approuva d'un geste nerveux de la tête, et quelques boucles brunes s'échappèrent de son chignon.
Merci, mon ami. Je me sens mieux, à présent. J'ai peur - oh, oui, j'ai peur ! Mais c'est bien ainsi que nous devons agir.
Sébastian se leva, lui prit la main et s'inclina sur ses doigts fins ornés de bagues.
Je vous ferai signe dès que j'aurai des nouvelles, madame.
Elle sourit malgré son désarroi et murmura :
Merci, monsieur Thorne.
Sébastian s'éloigna d'un pas vif et léger. Quand il ouvrit la porte, la femme qui se trouvait derrière recula en étouffant un cri de surprise. Elle avait les cheveux bruns, un joli visage, et une bouche faite pour le sourire.
Oh, je vous demande pardon ! s'exclama-t-elle d'une voix teintée d'accent irlandais. J'apportais un message à madame, mais je n'osais pas interrompre votre conversation.
Elle l'observa d'un air à la fois circonspect et provocant. Sébastian avait souvent cet effet sur les femmes. Elles aimaient ce qu'elles voyaient, mais elles devinaient qu'il n'était pas facile à amadouer.
Maeve ? dit Aphrodite. Il y a un problème ?
C'est le Champagne, madame. Je pense qu'il n'est pas bon. Les clients se sont plaints.
Aphrodite eut un claquement de langue agacé. Sébastian s'inclina et laissa les deux femmes régler cette affaire domestique. Mais le visage de l'Irlandaise resta gravé dans son esprit. Maeve avait peut-être dit la vérité - à savoir qu'elle attendait simplement qu'ils aient fini de parler. Mais Sébastian avait appris à être méfiant, et il la soupçonnait d'écouter aux portes. Ce n'était pas forcément grave. Elle pouvait être curieuse sans que cela cache quoi que ce soit. Mais il se promit de l'avoir à l'œil lors de sa prochaine visite au club d'Aphrodite.
En attendant, il avait une tâche à accomplir.
Il sentit son enthousiasme s'éveiller à la perspective de se mettre en chasse. En outre, il trouvait amusant que les membres de la haute société, qui le traitaient avec mépris et refusaient de lui adresser la parole en temps normal, s'obligent à être polis quand ils avaient besoin des services de M. Thorne.
Pour lui, cela s'appelait «danser avec le diable». Et bon nombre de personnes fortunées et de haute naissance avaient été, bon gré mal gré, ses cavalières. M. Thorne se montrait fort utile dans les situations difficiles, et parmi les gens qui l'employaient, personne ne se rappelait qu'il avait eu une autre vie, qu'il avait été un autre homme, huit ans auparavant. Peu leur importait. Tout ce qu'ils voulaient, c'était qu'il accomplît leurs sales besognes, avant de disparaître de nouveau dans les ruelles sordides d'où il était sorti.
Et cela lui convenait parfaitement, car il n'avait plus la possibilité de redevenir l'homme qu'il avait été autrefois. Cet homme-là avait disparu à jamais.
Et Sébastian n'avait nullement l'intention de le ressusciter.