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mercredi 16 juillet 2014

La ronde des saisons, Tome 2 : Parfum d'automne - Lisa Kleypas

 



Un jour, grommela Lillian, il faudra que tu m'expliques pourquoi les hommes éprouvent une joie aussi impie à sortir aux aurores et à patauger dans la boue pour tuer des petites bêtes.
— Nous aimons nous confronter à la nature. Et, plus important, cela nous donne une excuse pour boire avant midi.


 





Le résumé:
<Les laissées-pour-compte>,c'est ainsi que se définissent non sans ironie Lilian et Daisy Bowman,car malgré leurs millions de dollars,elles n'ont pas réussi à trouver un mari durant la saison londonienne.Invitées chez le comte de westcliff,qui souhaite faire affaire avec leur père,les deux jeunes Américaines sont bien obligées de revoir cet aristocrate hautain qui les prend pour des gamines mal élevées.Lilian n'ignore pas que Marcus de Westcliff la déteste tout paticulièrement pour son audace et son insolence.Pourquoi,dans ce cas,lui vole-t-il un baiser dès le premier soir?Aurait-il perdu la tete?Veut-il rire à ses dépens?Quoi qu'il en soit,Lilian est bien décidée à ne pas se laisser intimider par cet insupportable Anglais et ses airs de supériorité...


L'extrait :
Lillian, chuchota-t-il, j'ai essayé de vous laisser tranquille. Mais je n'y parviens plus. Ces deux dernières semaines, j'ai dû m'empêcher mille fois d'aller vers vous. J'ai beau me répéter sans cesse que vous êtes la moins appropriée...
Il s'interrompit quand, brusquement, elle se tortilla entre ses bras, puis se démancha le cou pour regarder par terre.
— J'ai beau... Lillian, m'écoutez-vous? Que diable cherchez-vous ?
— Ma poire. Je l'ai laissée tomber et... Ah, la voilà !
Elle se dégagea de son étreinte pour se mettre à quatre pattes, puis tendit la main sous une chaise. Après avoir récupéré la bouteille, elle s'assit sur le sol et la posa sur ses genoux.
— Lillian, oubliez cette maudite poire.
— Comment elle est entrée là-dedans, vous croyez? demanda-t-elle avant d'essayer d'introduire le doigt dans l'orifice. Je ne comprends pas comment quelque chose d'aussi gros a pu entrer dans un trou aussi petit.
Marcus ferma les yeux pour lutter contre une recrudescence de désir, et c'est d'une voix rauque qu'il répondit :
— On la... on accroche la bouteille directement sur l'arbre. Le bourgeon grossit... à l'intérieur...
Il entrouvrit les yeux, et les referma en hâte quand il la vit enfoncer le doigt plus avant dans le goulot.
— Il grossit... s'obligea-t-il à continuer, jusqu'à ce que le fruit soit mûr.
Lillian parut plutôt impressionnée par cette explication.
— Vraiment ? Comme c'est ingénieux, mais alors ingénieux... Une poire dans sa propre petite... Oh non!
— Qu'y a-t-il ? demanda Marcus entre ses dents serrées.
— Mon doigt est coincé.
Marcus rouvrit brusquement les yeux. Il demeura interdit à la vue de Lillian s'efforçant de sortir son doigt prisonnier.
— Je ne peux pas l'enlever.
— Eh bien, tirez dessus.
— Ça fait mal.
— Tirez plus fort.
— Je ne peux pas ! Il est complètement coincé. Il faudrait quelque chose pour le faire glisser. Vous n'auriez pas un genre de lubrifiant, ici ?
— Non.
— Vous n'avez rien du tout ?
— Au risque de beaucoup vous surprendre, nous n'avons jamais eu besoin de lubrifiant dans la bibliothèque, jusqu'à présent.



L'extrait :
Je vous aurais trouvés plus vite, confia le vicomte en s'arrêtant devant eux, si je n'avais été attaqué par une nuée d'azurés à taches pourpres.
Il baissa la voix pour ajouter d'un ton de conspirateur :
— Je ne veux pas vous alarmer, mais mon devoir est de vous prévenir : ils ont l'intention de servir une terrine de rognons au cinquième service.
— Ça, je pourrai le supporter, dit Lillian, contrite. Ce n'est qu'avec les animaux servis dans leur état naturel que je semble avoir des problèmes.
— Mais c'est normal, mon chou. Nous sommes des barbares, tous autant que nous sommes, et vous aviez raison d'être consternée à la vue des têtes de veau. Je n'aime pas cela, moi non plus. En fait, je consomme très peu de boeuf, sous quelque manière que ce soit.
— Vous êtes végétarien? demanda Lillian, qui avait souvent entendu prononcer ce mot ces derniers temps.
À la suite des recommandations de l'hôpital de Ramsgate, de nombreuses discussions avaient eu lieu sur l'opportunité d'observer un régime à base de végétaux.
Saint-Vincent lui adressa un sourire éblouissant.
— Non, mon ange, je suis cannibale.
— Saint-Vincent, gronda Westcliff en voyant la perplexité de Lillian.
Le vicomte continua de sourire sans manifester le moindre repentir.



L'extrait :
Pivotant à demi sur sa chaise, Lillian jeta un coup d'oeil au plateau le plus proche. Et eut un sursaut d'horreur en découvrant la tête calcinée d'une bête indéterminée, du crâne de laquelle s'élevait de la vapeur.
Son mouvement provoqua la chute bruyante de ses couverts en argent, qu'un valet s'empressa de remplacer
— Qu'est-ce... qu'est-ce que c'est que ça? balbutia-t-elle, incapable de s'arracher à la contemplation de cette « chose » immonde.
— Une tête de veau, répondit l'une des convives avec une condescendance amusée. Un mets anglais très prisé. Ne me dites pas que vous n'en avez jamais goûté ?
Tout en s'efforçant de garder une expression impassible, Lillian secoua la tête. Elle tressaillit quand le valet de pied écarta les mâchoires fumantes et entreprit de découper la langue.
— Certains prétendent que la langue est le morceau le plus délicieux, continua la femme, mais d'autres préfèrent la cervelle. Pour ma part, je considère que les yeux sont les friandises les plus délectables.
Écoeurée, Lillian ferma les paupières. Un flot de bile lui monta à la gorge.
La cuisine anglaise ne l'avait certes jamais enthousiasmée, mais rien ne l'avait préparée à la vue repoussante de cette tête de veau. Rouvrant les yeux, elle regarda autour d'elle. Des têtes de veau... Partout! Découpées, ouvertes, leurs cervelles vidées à la cuiller, leurs ris découpés en tranches fines...
Elle allait être malade.
Sentant le sens refluer de son visage, Lillian se tourna vers l'autre extrémité de la table, où Daisy regardait d'un air dubitatif les morceaux choisis que l'on déposait cérémonieusement dans son assiette. Lentement, Lillian porta sa serviette à ses lèvres. Non. Elle ne pouvait se permettre d'être malade. Mais le parfum riche de la tête de veau flottait tout autour d'elle et, alors que résonnaient le cliquetis des couverts et les murmures appréciateurs des convives, elle lutta pour réprimer une vague de nausée.
On posa devant elle une petite assiette qui contenait quelques tranches de... quelque chose et... un oeil gélatineux, à la base conique, qui roula mollement vers le rebord.
— Doux Jésus, gémit-elle, le front soudain emperlé de sueur.
Une voix calme sembla percer le brouillard nauséeux qui l'étreignait.
— Mademoiselle Bowman...
Lançant un regard désespéré dans la direction de la voix, elle distingua le visage impassible de lord Westcliff.
— Oui, milord? dit-elle d'une voix pâteuse.
— Veuillez pardonner ce qui semblera peut-être une requête excentrique, commença-t-il, semblant choisir ses mots avec un soin inhabituel. Mais il m'est venu à l'esprit que le moment était tout à fait opportun pour observer un papillon d'une espèce rare qui vit sur le domaine. Il ne sort qu'en début de soirée, ce qui est évidemment une particularité. Peut-être vous souvenez-vous que j'y ai fait allusion lors d'une conversation précédente.
— Un papillon ? répéta Lillian en déglutissant à plusieurs reprises pour juguler un haut-le-coeur.
— Peut-être me permettrez-vous de vous escorter, votre soeur et vous, jusqu'à la serre, où de nouvelles éclosions ont été signalées. Je regrette que cela nous prive de ce plat particulier, mais nous reviendrons à temps pour jouir du reste du dîner.
Plusieurs convives cessèrent de manger, déconcertés par cette étrange proposition.
Comprenant qu'il lui fournissait une excuse pour quitter la table, en compagnie de sa soeur par respect des convenances, Lillian hocha la tête.
— Les papillons, répéta-t-elle dans un souffle. Oui, j'aimerais beaucoup les voir.
— Moi aussi, lança Daisy depuis l'autre bout de la table.
Elle se leva d'un bond, ce qui obligea ses voisins à se lever à leur tour précipitamment par courtoisie.
— Comme c'est aimable à vous de vous souvenir de notre intérêt pour les insectes du Hampshire, milord, poursuivit Daisy.
Westcliff s'approcha de Lillian pour l'aider à se lever.
— Respirez par la bouche, lui chuchota-t-il.
Tous les regards étaient fixés sur eux.
— Milord, intervint alors lord Wymark, puis-je vous demander de quelle espèce rare il s'agit ?
Après une imperceptible hésitation, Westcliff répondit avec gravité :
— L'azuré du... pissenlit...
Il marqua une pause avant d'ajouter :
— ... à taches pourpres.
Wymark fronça les sourcils.
— Je me targue d'être un lépidoptériste amateur, milord. Et, si je connais l'azuré du serpolet - qui vit en Cornouailles -, je n'ai jamais entendu parler de l'azuré du pissenlit.
Il y eut un court silence.
— C'est un hybride, expliqua Westcliff. Morpho purpureus practicus. À ma connaissance, il n'a été observé que dans les environs de Stony Cross Park.
— J'aimerais aller jeter un coup d'oeil à cette colonie avec vous, si vous le permettez, fit Wymark en reposant sa serviette, prêt à se lever. La découverte d'un nouvel hybride est toujours...
— Demain soir, coupa Westcliff d'un ton autoritaire. L'azuré du pissenlit est sensible à la présence humaine. Il vaut mieux aller le voir en petits groupes de deux ou trois personnes.
— Fort bien, milord, murmura Wymark, visiblement mécontent. Demain soir, donc.
Reconnaissante, Lillian s'accrocha au bras de Westcliff, Daisy prit l'autre, et tous trois quittèrent la pièce d'un pas digne.